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De l’ère du vibe-coding à l’artisanat logiciel : le développeur face à la révolution de l’IA

Vibe-coding : un miroir aux alouettes pour la qualité du code ?

La programmation assistée par IA – ce que Andrej Karpathy a popularisé sous le nom de vibe-coding – séduit par sa promesse : « décrire ce qu’on veut, et laisser l’IA coder pour nous ». Des outils comme GitHub Copilot ou Claude Code génèrent désormais du code en quelques secondes à partir de simples consignes en langage naturel. Le gain de productivité est réel (GitHub a mesuré jusqu’à 55 % de vitesse en plus dans l’écriture de code avec Copilot et l’accessibilité du développement s’en trouve démultipliée. En 2024, on estime que 92 % des développeurs ont déjà utilisé ces assistants de code basés sur l’IA.

Pourtant, cette frénésie du code automatique s’accompagne de dérives inquiétantes. Manque de maîtrise technique, instabilité du code, explosion de code inutile et absence de tests sont autant de risques du vibe-coding incontrôlé. Des études commencent à le quantifier : des chercheurs de NYU ont montré que près de 40 % du code généré par GitHub Copilot contenait des vulnérabilités de sécurité . De même, l’outil d’analyse GitClear prévoit que le churn (code vite écrit puis vite abandonné) pourrait doubler en 2024 du fait de ces générateurs, les livraisons de code « ressemblant à un contributeur éphémère qui aligne du code verbeux sans se soucier de sa maintenabilité ». En clair, sans discipline humaine, l’IA peut produire du volume… au détriment de la qualité.

Le constat est sans appel : un bon développeur ne se contente pas d’écrire du code, il l’ingénierise. Versionning systématique, documentation claire et tests automatisés restent indispensables, « l’IA n’étant qu’un outil et non un substitut aux bonnes pratiques ». Face à un LLM qui peut « halluciner » n’importe quelle fonction, c’est au développeur-expert de jouer le rôle de garde-fou (guardrail) : revoir chaque sortie, exiger des tests passés au vert, et s’assurer que l’efficience ne sacrifie pas la sécurité ni la cohérence. Sur ce point, les développeurs confirmés redeviennent plus que jamais des ingénieurs qualité – une expertise précieuse pour éviter que le rêve du no-code magique ne tourne au cauchemar de la dette technique.

Un métier en profonde mutation : le code, une brique parmi d’autres

Ces dérives ne doivent pas occulter la transformation positive à l’œuvre. Le développement logiciel est un métier en mutation accélérée. Historiquement, écrire du code constituait le cœur de l’activité du développeur. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une brique (essentielle) d’un ensemble beaucoup plus vaste. Architecture cloud, intégration de services tiers, gestion de données, et désormais orchestration d’IA font partie du quotidien. Sundar Pichai révélait récemment qu’à l’intérieur de Google, plus d’un quart du nouveau code est désormais généré par de l’IA – bien sûr relu et validé par des ingénieurs humains . Ce basculement illustre que le code n’est plus le produit exclusif du développeur, mais le résultat d’une collaboration homme–machine.

Contrairement à une crainte répandue, l’IA ne remplace pas les programmeurs : elle les augmente. « Cela aide nos ingénieurs à en faire plus, plus vite », précise Pichai. Ils délèguent à la machine les tâches répétitives ou le boilerplate, pour mieux se concentrer sur la conception et le contrôle qualité. D’ailleurs, une large part du travail consiste déjà à autre chose qu’écrire du nouveau code : environ 60 % de l’effort en développement consiste à maintenir du code existant (refactoring, débogage, évolutions mineures). Automatiser la production de code brut libère du temps de cerveau pour ces tâches à plus forte valeur ajoutée. On voit également émerger de nouvelles façons de produire du logiciel : certains parlent de Software 2.0 où l’on « code » en entraînant des modèles plutôt qu’en écrivant des algorithmes ligne par ligne. Le développeur moderne doit donc jongler entre plusieurs modes de création logicielle (codage traditionnel, paramétrage d’outils, entraînement ou prompting d’IA) selon le besoin.

L’artisanat logiciel : un savoir-faire d’expérimentation et de pragmatisme

On pourrait croire à une contradiction : on vient de vanter la rigueur d’ingénieur nécessaire face aux IA, et voilà qu’on affirme que le développement s’apparente davantage à de l’artisanat. En réalité, les deux approches se complètent. L’artisanat logiciel – concept porté par le mouvement du Software Craftsmanship – met en avant la dimension créative, empirique et humaine du métier. Un artisan développeur n’est pas qu’un exécutant de plans figés : il expérimente, il ajuste son code en fonction du contexte, il cherche la solution ad hoc qui répond au besoin métier réel, pas la beauté théorique pour la beauté. Il a le sens du « pourquoi » fonctionnel autant que du « comment » technique.

Dans un monde où l’IA peut générer dix implémentations différentes en un clin d’œil, cette approche artisanale reprend tout son sens. C’est elle qui permet de trier le bon grain de l’ivraie : discerner quelle proposition de l’IA est la plus pertinente, la simplifier, l’adapter finement à l’usage. Le développeur devient un maître d’œuvre pragmatique, capable de marier l’assistance logicielle la plus moderne avec les réalités du terrain. Par exemple, plutôt que de se reposer aveuglément sur un code généré, il va l’enrichir de commentaires clairs, y ajouter des tests unitaires, et parfois même le refondre pour qu’il soit compréhensible par ses pairs. Cette démarche rappelle celle d’un artisan qui, face à une machine-outil ultra-sophistiquée, garde la main sur les finitions cruciales.

En ce sens, le développeur de demain sera peut-être moins un ingénieur-scientifique écrivant des formules au tableau, et davantage un artisan numérique capable de prototyper rapidement, d’essayer plusieurs approches (manuelles ou automatiques), puis de polir le produit final jusqu’à obtenir un outil fiable et utile. C’est un changement de posture : la réussite ne se mesurera plus seulement en nombre de commits ou de lignes produites, mais en valeur d’usage délivrée, avec une solution élégante dans son contexte d’utilisation.

D’aujourd’hui à demain : du développeur pré-IA au développeur IA-native

Cette mutation du métier est déjà palpable si l’on compare les générations de développeurs. Le développeur “pré-IA” – celui qui a grandi professionnellement avant l’essor des LLM – a bâti ses compétences sur l’écriture manuelle de code, la compréhension en profondeur des API et des frameworks, et souvent une méfiance instinctive vis-à-vis des générateurs automatiques (héritée par exemple des échecs relatifs des usines à code MDA des années 2000). Il a l’habitude de tout coder « à la main », avec certes des IDE sophistiquées mais où l’auto-complétion restait basique. Le développeur “IA-native”, lui, arrive sur le marché du travail avec Copilot, ChatGPT et consorts déjà dans sa toolbox. Pour lui, demander à une IA de produire une fonction est un réflexe aussi banal que faire une recherche Google pour un snippet.

Cette différence a des avantages indéniables : un jeune développeur épaulé par l’IA peut se montrer tout de suite productif sur des tâches simples, même s’il ne maîtrise pas encore tous les rouages. Sundar Pichai notait que ces outils pourraient rendre les juniors « plus capables » qu’avant, à périmètre égal. Mais elle comporte un revers : “moins sachants” sur la programmation elle-même. Autrement dit, à force de voir l’IA comme un GPS donnant la route toute tracée, on perd un peu le sens de l’orientation. Cela peut-être illustré par les différentes « familles de requêtes » qu’un développeur peut poser à une IA : la plupart se contenteront de « Dis-moi comment faire » et s’arrêteront là, sans creuser. Les meilleurs iront plus loin : « Explique-moi pourquoi tu me proposes ce code, en quoi est-il meilleur qu’une autre approche, et quels problèmes potentiels comporte-t-il ». C’est dans cette capacité à questionner l’IA que se fera la différence entre un dev exécutant et un dev concepteur.

L’ingénierie pédagogique devra s’adapter pour former ces développeurs IA-native. Il faudra leur enseigner non seulement la technique (on en aura toujours besoin : comprendre un pointeur, un modèle de données, ça reste fondamental) mais aussi l’art de collaborer avec l’IA. Savoir écrire un bon prompt, vérifier une sortie, diagnostiquer une erreur absurde de l’IA, ou reprendre la main quand l’IA montre ses limites : ce sont de nouvelles compétences à acquérir. En somme, les développeurs de demain ne seront plus ceux d’hier : ils devront être médiateurs entre l’intention humaine et l’exécution machine, tirant le meilleur des deux. C’est un changement de paradigme, mais aussi une formidable opportunité d’évolution du rôle vers plus de hauteur de vue.

Des IDE aux architectures : l’IA s’intègre dans tout le cycle de dev

Concrètement, comment cette révolution IA s’intègre-t-elle dans les pratiques de développement ? Déjà, les environnements de développement (IDE) se dotent d’assistants IA omniprésents. GitHub Copilot a ouvert la voie dans Visual Studio Code, et depuis VS IntelliCode, AWS CodeWhisperer, Cursor ou d’autres offrent des suggestions contextuelles en temps réel. Il devient courant qu’un développeur écrive la description d’une fonction en langage naturel dans un commentaire, et que l’IA propose instantanément le squelette du code correspondant. Les tests unitaires eux-mêmes peuvent être générés automatiquement : par exemple, l’outil Claude Code d’Anthropic est capable de rédiger et d’exécuter des tests à la demande pour valider le comportement du code. On voit émerger des flux de travail en TDD inversé, où l’IA code pendant que le développeur écrit les tests et supervise. Tout ceci vise à augmenter la productivité sans sacrifier la qualité : l’IA fait le sale boulot répétitif, l’humain garde la haute main sur le fonctionnel et la vérification.

Ensuite, au-delà de l’IDE, l’architecture logicielle elle-même évolue pour accueillir les LLM. Plutôt que d’invoquer l’IA comme un simple outil ponctuel, certaines entreprises commencent à la traiter comme un composant à part entière du système. On parle d’agents logiciels propulsés par des LLM, qui effectuent des tâches en autonomie limitée. Dans ces approches, on s’appuie sur des mécanismes de microservices et de rollback afin d’encadrer le comportement des IA. Par exemple, une feature pilotée par IA peut être isolée dans un microservice distinct : si l’agent LLM déraille ou produit un résultat inapproprié, on peut facilement revenir en arrière (annuler les changements, redémarrer le service dans un état sain) sans impacter le reste de l’application. Des garde-fous (guardrails) sont également mis en place pour limiter les dérives : filtrage des prompts et des réponses pour éviter les contenus dangereux, contrôles de cohérence sur les données manipulées, etc. L’IA devient ainsi un collaborateur encapsulé dans l’architecture : puissante, mais dont les actions sont surveillées et réversibles.

On observe aussi l’intégration de l’IA dans les outils de CI/CD et de revue de code. Des bots basés sur des LLM peuvent analyser vos pull requests, expliquer une section de code, voire suggérer des refactorings. GitHub utilise déjà des modèles pour repérer les failles de sécurité dans les repos publics. L’IA s’insère donc à tous les étages du cycle de développement, depuis la conception jusqu’au déploiement, avec un rôle à chaque fois d’assistant intelligent du développeur ou de l’équipe. À terme, on peut imaginer un pipeline de développement où une grande partie du code est générée et testée automatiquement, pendant que les développeurs pilotent ce processus, un peu comme des chefs d’orchestre vérifiant que chaque instrument (chaque composant IA) joue juste.

Un développement de plus en plus orienté usages métier

L’une des évolutions les plus enthousiasmantes apportées par l’IA, c’est la possibilité de se focaliser davantage sur le « quoi » que sur le « comment ». Le rêve de nombreuses équipes métiers a toujours été de pouvoir décrire un besoin en termes simples et d’obtenir une solution logicielle fonctionnelle sans des mois de specs techniques. Ce rêve devient petit à petit réalité avec l’IA. On parle de développement fonctionnel orienté usages : il s’agit de partir d’un cas d’utilisation concret, d’une action métier à accomplir, et de laisser l’IA orchestrer la logique requise à travers les systèmes.

Un exemple parlant : « Transformer un devis client en commande validée en un seul clic ». Derrière cette simple phrase se cache d’ordinaire un processus complexe impliquant le CRM, l’ERP, la base de données des stocks, peut-être un système de facturation, etc. Traditionnellement, un développeur devrait écrire du code d’intégration entre ces systèmes, développer une interface ou un script ETL, s’assurer de la cohérence des données à chaque étape. Avec les nouveaux agents IA et l’écosystème qui se met en place, il devient possible de confier cette orchestration à un LLM bien entraîné : il peut dialoguer avec les API de chaque application, extraire les informations du devis, créer les enregistrements correspondants dans l’ERP, déclencher la validation, et renvoyer le résultat – le tout guidé par une consigne haut niveau. Des services comme Zapier l’ont bien compris : leur plugin ChatGPT permet à l’IA d’exécuter plus de 20 000 actions à travers 7 000 applications SaaS différentes, simplement en comprenant la requête de l’utilisateur.
On n’est plus très loin du scénario où un dirigeant pourrait dire à son assistant IA : « Ce client a accepté notre devis de 10 000 €, enregistre la commande et prépare la facture » et que tout se passe automatiquement.

Ce développement piloté par l’usage se distingue du développement traditionnel piloté par la technologie. On ne démarre plus en choisissant un langage ou un framework, on démarre par le besoin métier. L’IA sert alors de chef d’orchestre technique, choisissant la bonne manière de combiner les capacités existantes (APIs, services cloud, routines internes) pour satisfaire ce besoin. Bien sûr, il faut toujours un travail initial pour connecter les systèmes, définir les permissions et les règles de gestion – c’est le rôle du développeur/architecte de préparer le terrain. Mais une fois ces « briques Lego » posées, l’IA peut jouer avec pour construire rapidement de nouvelles fonctionnalités composites centrées sur l’utilisateur final. On voit ainsi émerger des applications d’un nouveau genre, qui sont moins du code écrit from scratch que de la composition intelligente de briques existantes. Le résultat : des itérations beaucoup plus rapides pour répondre aux demandes métiers, et une personnalisation accrue des outils internes.

Démocratisation du développement : une aubaine pour les TPE/PME

Cette évolution a un corollaire majeur : rendre le développement logiciel beaucoup plus accessible aux entreprises qui, hier encore, n’y avaient pas ou peu accès. Pour de nombreuses TPE/PME, faire développer une application sur-mesure ou automatiser un processus revenait trop cher, trop long, réservé aux ESN ou à des éditeurs. Elles se contentaient de solutions génériques du marché, parfois mal adaptées, faute de moyens pour faire mieux. L’IA vient bousculer cet état de fait. Désormais, un développeur unique assisté par IA peut réaliser en quelques semaines ce qui aurait pris des mois à une équipe entière il y a 10 ans.

Les outils de vibe-coding ouvrent la voie du semi-logiciel maison à moindre coût. Comme le dit un expert, « le vibe-coding permet de faire entrer le développement dans toutes les entreprises, surtout les plus petites qui n’ont pas les moyens d’une équipe dédiée » (Le Vibe-coding : La fin des développeurs et le code à la portée de toutes… | Philippe Cohen ✨ | 14 commentaires). Les chiffres confirment que les petits acteurs s’emparent du sujet : en un an, la proportion de petites entreprises ayant testé l’IA générative est passée de 38 % à 74 %, et celles qui l’utilisent concrètement dans leur activité de 11 % à 26 % . C’est un bond en avant considérable. Bien sûr, toutes ne l’emploient pas encore pour du développement pur, cela passe souvent par des chatbots, de la création de contenu, etc. Mais l’appétence est là, et l’idée que l’IA peut faire gagner du temps et de l’argent fait son chemin (près de 90 % ne craignent pas de conséquences négatives et y voient un atout.

Concrètement, on voit poindre le profil du « développeur IA » en PME : quelqu’un qui connaît un peu le code, un peu les outils no-code, et beaucoup l’environnement métier de l’entreprise. Ce profil hybride peut, armé d’assistants comme Copilot, d’agents conversationnels et d’une bonne dose de débrouillardise, concevoir des solutions internes personnalisées : automatiser un reporting, créer un petit portail client spécifique, interfacer deux logiciels qui ne communiquaient pas. Là où il aurait autrefois fallu recruter un prestataire externe pour chaque besoin, ces petites entreprises pourront petit à petit tout faire en interne, sur mesure. L’impact économique pourrait être significatif : plus d’efficacité, moins de travail manuel, et in fine une compétitivité accrue. On peut y voir une démocratisation de la transformation digitale : l’IA abaisse le coût d’entrée du développement, libérant l’innovation même avec de petites équipes.

Les grandes plateformes SaaS deviennent des bases de données intelligentes

Parallèlement, les éditeurs de logiciels et plateformes SaaS adaptent leur stratégie. Dans un monde où les entreprises peuvent de plus en plus construire des solutions ad hoc grâce à l’IA, comment se positionnent les Salesforce, Microsoft 365, SAP et autres ? Eux aussi embrassent la tendance, en transformant progressivement leurs outils en plateformes ouvertes aux agents IA. En clair, votre CRM de demain ne sera peut-être plus juste un CRM avec des écrans et des rapports figés, ce sera une base de données intelligente, interrogeable et actionnable par une IA.

On le voit déjà avec des annonces comme Salesforce Einstein Copilot, Microsoft 365 Copilot, ou la pléthore de connecteurs que sortent les plateformes. L’idée est de permettre à un agent conversationnel d’utiliser pleinement les capacités du SaaS. Par exemple, Salesforce a désormais une interface de chat qui comprend des demandes du style « Donne-moi la liste des clients dans tel secteur qui n’ont pas été relancés depuis 60 jours et planifie des rappels » – le système va lui-même requêter la base et programmer des tâches de suivi. On peut citer également l’essor des APIs unifiées et des connecteurs standardisés. Le géant de l’automatisation Zapier, mentionné plus haut, a rendu quasiment plug-and-play l’accès à des milliers d’applications via une API normalisée. Il suffit alors de greffer un LLM qui sait exploiter ces API pour que l’ensemble du paysage logiciel d’une entreprise devienne programmable en langage naturel.

En ce sens, les grandes plateformes SaaS tendent à devenir l’infrastructure back-end tandis que l’IA devient le nouvel front-end. Le SaaS stocke les données et implémente les règles complexes (comptabilité, RH, production…), mais c’est un agent intelligent qui va interroger plusieurs SaaS à la fois et orchestrer des opérations entre eux. Cette séparation ouvre la porte à des usages cross-plateformes inédits. Par exemple : « Analyse mes ventes (données CRM) et mes stocks (données ERP) puis génère-moi un plan de production optimisé ». Plutôt que d’attendre qu’un éditeur propose un module qui fait exactement ça, une entreprise pourra laisser un agent IA puiser dans plusieurs SaaS en parallèle et composer la solution. Les fournisseurs SaaS l’ont compris : pour rester indispensables, ils doivent offrir leurs services de façon “AI-friendly” (via des APIs bien documentées, des possibilités d’extensions par des bots, et éventuellement leurs propres LLM spécialisés). On peut imaginer qu’à terme, chaque SaaS majeur expose un agent certifié qui sait dialoguer avec l’agent générique de l’entreprise. Un peu comme chaque application aujourd’hui propose une API REST, demain elle proposera un plugin IA prêt à discuter.

Pour les entreprises, cela signifie plus de modularité et de personnalisation. Les silos applicatifs pourront être brisés par une couche d’intelligence transverse. Attention toutefois à la gouvernance des données : ouvrir en grand l’accès aux systèmes via l’IA pose des défis de sécurité et de contrôle (s’assurer qu’un agent ne puisse pas accéder à tout sans restrictions, éviter des modifications indésirables, etc.). Mais là encore, de nouvelles solutions apparaissent : access control spécifique aux IA, logs détaillés des actions des agents, ou encore “sandboxes” isolées pour tester les décisions des IA avant de les appliquer pour de vrai.

Vers de nouveaux métiers : orchestrateurs, analystes fonctionnels, experts de cohérence…

Qui dit transformation du développement dit également évolution des rôles au sein des équipes. Nous avons déjà évoqué le développeur IA hybride. Mais on peut aller plus loin et imaginer de nouveaux métiers ou spécialisations émergentes dans les prochaines années :

  • Orchestrateur d’IA : à mi-chemin entre l’architecte logiciel et le chef de projet, il conçoit l’ensemble des flux impliquant des IA. C’est lui qui décide quel agent fait quoi, quelles tâches sont automatisées ou non, comment s’imbriquent les microservices IA avec les systèmes existants. Il a une vision d’ensemble et garantit que tous ces agents collaboratifs travaillent de concert au service du processus métier.
  • Analyste fonctionnel nouvelle génération : proche du métier, il formalise les besoins en dialoguant autant avec les humains qu’avec les IA. On pourrait le voir comme un prompt engineer orienté métier : il sait traduire un besoin business en instructions compréhensibles par une IA, et inversement expliquer aux utilisateurs ce que fait l’IA. Son rôle est crucial pour que la logique métier soit bien respectée par les solutions AI-driven. Dans une certaine mesure, il remplace le duo traditionnel product owner + développeur sur la phase de spécification par une seule interface homme-IA.
  • Expert en cohérence et qualité globale : alors que de multiples IA agiront un peu partout, ce spécialiste sera le garant que le comportement global du système reste cohérent et aligné avec les objectifs. Par exemple, vérifier que les réponses générées par l’IA respectent bien le ton et la politique de l’entreprise, que les actions automatiques n’entrent pas en conflit (pas d’envoi double d’une commande, pas d’incohérence entre la base clients et la base prospects, etc.), ou encore que les données restent fiables de bout en bout. C’est une sorte de QA transverse à l’ère de l’IA, avec une forte dimension éthique et conformité également (s’assurer que l’IA ne dérape pas en propos ou en décision non voulue).
  • On pourrait ajouter l’entraînement de modèles (ML Engineer) pour les entreprises qui auront leurs IA internes, ou l’ingénieur prompt pour optimiser les consignes données aux modèles… même si beaucoup prédisent que ce dernier sera plutôt une compétence à diffuser chez tous qu’un métier dédié pérenne.

Naturellement, le rôle du développeur va évoluer lui aussi pour intégrer ces dimensions. Moins de temps passé à écrire du code trivial, plus à concevoir l’expérience et l’interface intelligente qui va autour. Le développeur deviendra en quelque sorte un concepteur d’interfaces fonctionnelles intelligentes : il assemblera les briques IA, définira comment l’utilisateur interagit avec elles, comment l’information circule. C’est l’aboutissement logique de décennies d’abstraction croissante en informatique (du code machine vers les langages évolués, puis vers les frameworks, et maintenant vers le langage naturel et l’intention). L’humain reste au centre, mais son travail se situe à un plus haut niveau d’abstraction.

Conclusion : anticipation et vision stratégique

Le message à retenir pour les professionnels de la tech est clair : l’arrivée de l’IA dans le développement n’est ni une mode passagère, ni une fin en soi, mais le début d’une nouvelle ère de notre métier. Comme toute révolution technologique, elle comporte des risques et des écueils – qualité du code, sécurité, maîtrise, qu’il faut aborder avec lucidité – et des opportunités immenses pour qui saura les saisir.

Les constats que l’on trouve régulièrement sur les réseaux au sujet des dérives actuelles du vibe-coding sont très pertinents : sans garde-fous, on court à la catastrophe logicielle. Pour autant, il serait vain de vouloir ignorer ou freiner le mouvement de fond. L’IA fait désormais partie intégrante de la boîte à outils du développeur, et son rôle ne fera que croître. Google ne s’y trompe pas en réorganisant ses équipes internes pour miser sur l’AI-driven development, ni Microsoft en intégrant Copilot à toutes les sauces dans son écosystème. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus d’un quart du code de Google est écrit par des machines, et ce n’est qu’un début. Demain ce sera la moitié, puis peut-être plus. La question n’est pas « l’IA va-t-elle remplacer les devs ? » (non, si vous avez bien lu, on aura toujours besoin d’experts humains, peut-être encore plus qu’avant pour les guider), mais « les devs qui intègrent l’IA surpasseront-ils ceux qui s’en passent ? ». La réponse semble s’orienter vers un oui sans ambiguïté, tant en productivité qu’en pertinence des solutions livrées.

Il appartient donc aux CTO, aux responsables tech et aux développeurs eux-mêmes de prendre le virage de l’IA de manière proactive. Cela implique d’adopter ces outils, de former les équipes à bien les utiliser (et à en connaître les limites), d’adapter les méthodes (par exemple intégrer systématiquement une étape de revue des outputs IA, ou repenser la façon dont on écrit les spécifications). Il s’agit aussi d’anticiper les nouveaux rôles : identifiez dès maintenant vos talents qui pourraient devenir ces orchestrateurs ou analystes fonctionnels IA, et donnez-leur l’espace pour innover. Du côté des entreprises clientes ou des directions métiers, cette mutation doit également être comprise : le développement va devenir plus rapide, plus flexible et plus accessible, ce qui ouvre des perspectives stratégiques formidables pour créer des outils au plus près du terrain.

En conclusion, nous entrons dans une ère où le développeur sera moins un « tailleur de pierre » qui taille chaque brique de code, et davantage un « architecte-couturier » (pour oser une métaphore) qui assemble, ajuste et habille des blocs intelligents pour bâtir des solutions sur mesure. Un artisan augmenté par la puissance de l’IA, capable de magnifier son savoir-faire au lieu d’en être dépossédé. À nous, professionnels de la tech, de construire ensemble cette vision de manière bienveillante, pragmatique et ambitieuse. Ceux qui sauront marier l’art de coder et l’art d’orchestrer l’IA contribueront à façonner les logiciels innovants et fiables dont nos entreprises ont besoin – et ils auront une longueur d’avance dans le monde numérique de demain.

Sources et inspiration: Forbes, Fortune (déclaration Sundar Pichai), LinkedIn (Michaël Azerhad, Roy Derks, Philippe Cohen), The Verge, InfoWorld, Techzine, Spiceworks, CIO Dive…